Génodermatoses et douleurs neuropathiques périphériques : les préparations magistrales au service de traitements locaux inusuels et prometteurs


Le repositionnement de médicaments dans d’autres pathologies que celles pour lesquelles ils avaient été initialement approuvés ouvre un champ d’exploration considérable à partir de molécules aux paramètres pharmacologiques bien documentés et à l’utilisation en vie réelle maîtrisée.

Ces réorientations permettent de se soustraire au temps long de la recherche, afin de répondre à des besoins urgents non satisfaits, en particulier à destination de patients souffrant de maladies rares pour lesquelles, dans 95 % des cas, aucun médicament approuvé n’existe.

En dermatologie, oncologie, neurologie ou médecine de la douleur, la reconversion de molécules au profit de formulations topiques offre de nouveaux traitements pratiques d’utilisation, efficaces et sûrs, dans des situations où les options thérapeutiques sont comptées ou décevantes.

Dans ce contexte de prescriptions inusuelles, où l’absence de spécialités commerciales est la règle, les préparations magistrales topiques occupent une place incontournable :

•    Elles demeurent le seul recours dans l’attente de spécialité topique industrielle, sous réserve de la disponibilité des molécules sur le marché européen des matières premières pharmaceutiques ;

•    Elles sont indispensables, en milieu hospitalier, pour conduire de premiers essais nécessitant des concentrations et des formes galéniques ajustées ;

•    En l’absence de spécialité commerciale et de substance active disponible, à titre exceptionnel, les préparations magistrales peuvent être formulées à partir de médicaments déconditionnés où les poudres, ou broyats de comprimés, sont incorporés dans un excipient.

Au travers de recherches bibliographiques effectuées dans la base PUBMED entre septembre 2022 et avril 2023, nous nous sommes concentrés sur l’utilisation de quelques molécules à l’intérêt remarquable dans les génodermatoses et les douleurs neuropathiques périphériques. Le tableau I indique les différentes molécules qui ont été passées en revue et donne les résultats des tests de compatibilité avec quelques excipients.



1 - Les molécules utilisées par voie topique dans certaines génodermatoses

1 - Gentamicine

a. Épidermolyse bulleuse et autres génodermatoses

Au-delà de son activité antimicrobienne en tant qu’antibactérien aminoglycoside, la gentamicine administrée par voie topique a montré depuis une dizaine d’années qu’elle peut permettre la lecture de mutations non-sens. Cette lecture se fait en amenant les cellules à contourner les codons de terminaison prématurée, à insérer des acides aminés aléatoires, puis à exprimer des protéines complètes et fonctionnelles, phénomène nommé « readthrough ».

Les mutations non-sens représentent environ 30 % des variations génétiques pathogènes et sont à l’origine de 11 % des maladies héréditaires humaines [1, 2]. Elles se produisent lorsqu’un codon de terminaison prématurée (dit aussi codon d’arrêt ou codon-stop) est introduit dans la séquence d’ADN, entraînant l’arrêt de la synthèse des protéines et conduisant à des protéines tronquées, non fonctionnelles.

L’épidermolyse bulleuse dystrophique récessive (RDEB) est causée par des mutations du gène codant pour le collagène VII, principal composant des fibrilles d’ancrage. Plus de 800 types de mutations pouvant causer la RDEB ont été rapportés, parmi lesquels les mutations non-sens représentent environ 30 % des cas [3].

Dans un essai pilote en double aveugle, contrôlé par placebo, l’administration de pommade à la gentamicine à 0,1 % a permis la création d’un nouveau collagène de type VII et sa persistance pendant 3 mois. La gentamicine topique a corrigé la jonction dermo-épidermique (JDE), amélioré la fermeture des plaies et réduit la formation de bulles épidermique [4].

L’épidermolyse bulleuse jonctionnelle sévère généralisée (autrefois appelée EBJ Herlitz) est causée par des mutations des gènes LAMA3, LAMB3 ou LAMC2, dont environ 80 % sont des mutations non-sens conduisant à une altération de la production de laminine 332, protéine nécessaire à l’adhérence épiderme-derme.
Sur des kératinocytes primaires de patients, puis dans un essai ouvert impliquant les mêmes patients, une pommade à la gentamicine (0,5 %) appliquée deux fois par jour a permis une expression accrue de laminine 332 à la JDE, associée à une meilleure fermeture des plaies [5].

Dans d’autres génodermatoses, l’application de la gentamicine a donné des résultats prometteurs, tant in vitro que in vivo [6] :

La kératose palmoplantaire de type Nagashima, méconnue en Europe, mais assez fréquente au Japon et en Chine, concerne des patients porteurs d’une mutation non-sens pour plus de 90 % d’entre eux. En 2017, Ohguchi et al. ont démontré que l’administration d’une pommade à la gentamicine à 0,1 % apportait une amélioration significative de l’hyperkératose, associée à une réduction de la desquamation et à un lissage des surfaces cutanées palmaires [7].

La maladie de Hailey-Hailey (aussi appelée pemphigus bénin familial) affecte l’adhésion des kératinocytes en raison de mutations de perte de fonction dans le gène ATP2C1, dont 20 % sont causés par une mutation non-sens. L’intérêt de la gentamicine dans cette indication été mis en évidence [6].

L’hypotrichose simplex héréditaire du cuir chevelu est causée par des mutations dans le gène CDSN codant pour la cornéodesmosine, une protéine d’adhérence des kératinocytes (cornéodesmosomes). La mutation non-sens est l’une des causes les plus fréquentes de HSCC.
En 2020, Peled et al. ont montré in vitro que la gentamicine permet la production d’une cornéodesmosine complète, puis ont ensuite mesuré chez quatre patients HSCC une amélioration clinique de la croissance des cheveux et une réduction du score SALT (Severity of Alopecia Tool) après application de pommade à la gentamicine à 0,1 %, deux fois par jour pendant 6 mois. Des taux sanguins ont été détectés de façon constante à des niveaux extrêmement bas (< 0,5 μg/mL) chez tous les patients pendant le traitement [8].

Les effets indésirables de la gentamicine topique sont relativement légers et limités à la possibilité d’irritation, d’érythème et de prurit. Il n’y a pas de preuve d’effets indésirables systémiques associés à l’utilisation du médicament, à l’exception d’un patient qui a signalé un érythème et des vésicules prurigineuses dans l’étude de Ohguchi et al [7]. Un potentiel allergique est également mentionné dans la littérature [9].

Le fait que l’exposition chronique à la gentamicine topique puisse renforcer la résistance bactérienne est confirmé. Cependant, le risque n’est pas comparable aux avantages.

2 – Diacéréine

a. Épidermolyse bulleuse généralisée sévère

Petite molécule dérivée de l’anthraquinone, La diacéréine est un promédicament qui s’hydrolyse in vivo pour libérer sa forme active, la rhéine. Jusqu’alors approuvée dans l’arthrose comme anti-inflammatoire d’action modérée (per os), la diacéréine peut être utilisée par voie topique (pommade à 1 %) dans l’épidermolyse bulleuse simple généralisée et sévère (EBS-GS) où elle a démontré dans des essais cliniques sa capacité à réduire la formation de bulles et à améliorer la cicatrisation.

L’EBS-GS est une génodermatose mécano-bulleuse causée par des mutations héritées de façon dominante des gènes KRT5 et KRT14 codant pour les kératines épidermiques basales 5 (K5) et 14 (K14). Il a été démontré qu’une cascade de signalisation pro-inflammatoire déclenchée par l’agrégation des kératines mutées est liée à la fragilité de la peau [10]. Les patients EBS-GS développent des vésicules dans le cadre d’une surproduction de ces protéines mutées et d’une activation constitutive de l’interleukine (IL)-1, une cytokine pro-inflammatoire qui favorise l’hyperprolifération des kératinocytes [11].

La diacéréine topique réduit les niveaux d’interleukine-1ß dans les kératinocytes in vitro, ce qui contribue à stabiliser le réseau de filaments intermédiaires des kératinocytes basaux, réduisant ainsi le nombre de vésicules [10].

Dans un essai clinique randomisé de phase II/III basé sur une étude pilote antérieure [12], la diacéréine (pommade à 1 %) a réduit de manière significative le nombre de vésicules chez les patients atteints du syndrome de l’EBS au cours d’un épisode de traitement de quatre semaines. Cet effet a encore augmenté jusqu’à la fin d’un suivi de 3 mois [13].

La diacéréine topique à 1 % s’est révélée être un traitement non invasif efficace et sûr pour les patients souffrant d’EBS. Dans l’essai de phase II/III publié par Wally et al. (2018), 13 effets indésirables ont été enregistrés, dont aucun n’a été jugé grave ou lié au traitement. En outre, aucun de ces effets indésirables n’a été signalé dans la ou les zones cutanées traitées [14].

La bonne tolérance de la diacéréine topique à 1 % est importante dans la mesure où l’administration orale de cette molécule a été signalée comme provoquant des effets secondaires majeurs affectant le tractus gastro-intestinal, de sorte que l’Agence Européenne du Médicament (EMA) ne recommande plus son utilisation chez les patients âgés de 65 ans et plus (voie orale dans l’arthrose). L’application de diacéréine topique à 1 % rend la survenue de tels effets secondaires hautement improbable en raison de taux sériques de rhéine faibles [11].

Un traitement de 3 % de la surface corporelle pendant 4 semaines (diacéréine topique à 1 %) a fait ressortir des niveaux de rhéine systémique environ 150 fois inférieurs aux niveaux détectés 24 heures après la prise orale d’une dose unique de 50 mg [15].


3 - Sirolimus

a. Sclérose tubéreuse de Bourneville (Tuberous Sclerosis Complex)

Le sirolimus, également connu sous le nom de rapamycine, est un immunosuppresseur dont la cible mécanistique est mTOR (mammalian target of rapamycin), une protéine kinase sérine-thréonine qui intervient dans la prolifération cellulaire, le métabolisme cellulaire, l’apoptose, l’angiogenèse et la lymphangiogenèse [16].

Les inhibiteurs de mTOR, tels que le sirolimus ou l’évérolimus, se lient avec une grande spécificité à mTOR, ce qui entraîne une inhibition de l’hyperactivité de mTOR et une régulation négative de la croissance cellulaire.

La sclérose tubéreuse de Bourneville (STB ou Tuberous Sclerosis Complex, TSC) est une maladie autosomique dominante dont la prévalence à la naissance est estimée à 1/6 000. La STB est un syndrome neurocutané caractérisé par le développement de tumeurs (hamartomes) dans de multiples organes. La plupart des patients sont atteints de mutations du gène TSC1 qui contrôle la production d’hamartine ou du gène TSC2 qui contrôle la production de tubérine, ces protéines agissant comme des suppresseurs de croissance.

Les variantes pathogènes des gènes TSC1 ou TSC2 entraînent une perte de l’effet inhibiteur sur la voie mTOR. Les tumeurs associées au TSC, notamment les hamartomes, les angiofibromes et les lymphangioléiomyomes, sont caractérisées par une perte d’hétérozygotie [17,18] qui provoque une activation constitutive de mTOR et la formation d’angiofibromes faciaux par une surproduction de cellules cutanées associée à l’angiogenèse. Le nombre d’angiofibromes faciaux chez un même patient varie de 1 à plus de 100 [19].

L’intérêt de l’utilisation topique du sirolimus a été rapportée dès le début des années 2010 pour les angiofibromes liés à la STB (Haemel et al., 2011).

L’administration à long terme du sirolimus par voie systémique est considérée comme nécessaire pour maintenir la régression tumorale, mais elle peut induire des effets secondaires graves [20].  

La formulation topique du sirolimus est un traitement sûr et efficace des angiofibromes faciaux associés à la STB, le profil de sécurité variant peu parmi des concentrations testées allant de 0,003 % à 1 %. (19)

Depuis 2018, il existe un produit commercial au Japon : RAPALIMUS®, sirolimus à 0,2 % en gel topique

b. Malformations lymphatiques microkystiques cutanées (MLMC)

Les malformations lymphatiques microkystiques cutanées (MLMC), anciennement appelées lymphangiomes circonscrits pour les formes cutanées superficielles sont des malformations vasculaires se présentant comme des vésicules à contenu clair ou hématique, des papules ou des plaques hyperkératosiques. La prise en charge actuelle repose sur la sclérothérapie, les lasers ou la chirurgie, mais ces techniques sont douloureuses, parfois délabrantes et généralement suivies de récidive [16].

Des publications ont rapporté une efficacité du sirolimus topique dans des MLMC de la région glutéale, à des concentrations variables :

•    En 2018, Leducq et al. ont rapporté le cas d’un adolescent de 17 ans recevant une formulation topique à 0,1 % de sirolimus (1 application par jour) pendant une phase d’initiation de 3 mois, puis 0,25 % après objectivation d’une amélioration de l’épaisseur, des suintements/saignements et de la gêne. Le traitement a été bien toléré, excepté des picotements, et le sirolimus n’a pas été détecté dans le sang [16].

•    En 2017, Garcia-Montero et al. ont rapporté deux cas. Le premier chez une jeune fille de 13 ans ayant présenté au cours des 12 mois précédents une gêne accrue, un gonflement, un exsudat et une surinfection d’une MLMC affectant la fesse droite. Une amélioration marquée a été obtenue après 4 mois d’application d’une pommade à 1 % de sirolimus. Le second cas concerne un garçon de 5 ans ayant développé une MLMC sur la cicatrice d’une opération d’un lipoblastome interglutéal pratiquée à l’âge de 3 semaines. Un traitement de 4 mois a été instauré avec une pommade à 1 % de sirolimus, permettant une amélioration significative sans effets secondaires [21].

4 – Lovastatine/Simvastatine + Cholestérol

a. Porokératose actinique superficielle disséminée

Bien que rare, la porokératose actinique superficielle disséminée (PASD) représente le trouble de la kératinisation le plus courant parmi le groupe hétérogène des porokératoses. La PASD est une maladie autosomique dominante causée par des mutations germinales dans les gènes de la voie du mévalonate impliqués dans la synthèse du cholestérol. Les lésions sont provoquées par des mutations de second rang induites par les rayons ultraviolets.

Des rapports de cas uniques font état de traitements réussis de la PASD avec différentes thérapies (analogues topiques de la vitamine D3, rétinoïdes topiques et systémiques, traitement au laser, diclofénac topique, imiquimod topique ou photothérapie dynamique) [22], mais dans la pratique clinique, le traitement de la PASD reste insatisfaisant [23].

La pathogenèse de la PASD est aujourd’hui mieux comprise grâce à la détection des mutations de perte de fonction des gènes MVK, PMVK, MVD et FDPS impliqués dans la voie du mévalonate [24, 25]. Après une seconde mutation, on suppose que l’association d’une diminution des produits finaux de la voie du mévalonate et d’une accumulation de métabolites toxiques entraîne le phénotype clinique de la PASD [26].

Le cholestérol topique et la thérapie topique par les statines ont été récemment suggérés comme traitement de la PASD. Il a été montré que le cholestérol topique seul n’avait aucun effet sur les lésions de porokératose, mais que la combinaison de cholestérol et de statine entraînait une amélioration des lésions en réalimentant le cholestérol et en bloquant la production de métabolites toxiques grâce aux statines [27].

Des formules topiques associant 2 % de cholestérol et 2 % de lovastatine ou de simvastatine peuvent donc être administrées pour prévenir l’accumulation de métabolites toxiques tout en reconstituant les produits finaux essentiels (cholestérol).

La lovastatine n’étant pas commercialisée en France, elle est régulièrement remplacée par la simvastatine dans les préparations magistrales. La littérature rapporte l’emploi de ces deux principales statines.

Dans une étude systématique parue en 2023, Casale F et al. [28] ont inclus onze articles portant sur l’emploi de combinaisons topiques de cholestérol et de statines dans la porokératose : sur un total de 33 patients retenus, 16 utilisaient la lovastatine et 16 la simvastatine. La plupart des patients (n=31, 93,9 %) ont appliqué le traitement deux fois par jour pendant une moyenne de 9,4 semaines (médiane = 8 semaines) et 93,9 % (n=31) ont connu une amélioration ou une résolution de la porokératose.


b. CHILD syndrome (Congenital Hemidysplasia, Ichthyosiform erythroderma Limb Defects)

L’hémidysplasie congénitale avec érythrodermie ichtyosiforme et malformations des membres, ou syndrome CHILD, est une ichtyose congénitale rare causée par des mutations d’un gène (NSDHL) lié au chromosome X, codant pour une protéine responsable de la biosynthèse du cholestérol.

Les traitements symptomatiques topiques (émollients, kératolytiques, corticostéroïdes) comme les traitements systémiques (rétinoïdes et méthotrexate) donnent des résultats insatisfaisants.

Sandoval KR et al. (2019) rapportent le cas d’une patiente de 2 mois traitée avec une solution topique contenant du cholestérol et de la lovastatine, et dont le naevus ichtyosiforme CHILD a complétement disparu [29].

Cho SK et al. (2020) mentionnent un cas de traitement réussi à l’aide d’un gel de simvastatine et de cholestérol [30].

Kallis P et al. (2022) décrivent le cas d’une fillette de 10 mois dont les plaques psychotropes squameuses unilatérales ont disparu rapidement et presque complètement grâce à une monothérapie par simvastatine topique à 5 % deux fois par jour [31].

II - Les formulations topiques dans les douleurs neuropathiques périphériques

La neuropathie périphérique concerne 7 à 10 % de la population mondiale et englobe un large éventail de troubles affectant le système nerveux périphérique dans des patterns variés renvoyant à plus d’une centaine d’étiologies [32, 33].

 

Les douleurs neuropathiques (DN) périphériques les plus courantes comprennent la névralgie post-zostérienne, la neuropathie diabétique douloureuse, la névralgie du trijumeau, la radiculopathie douloureuse, la neuropathie associée au VIH, la douleur post-amputation, la neuropathie périphérique induite par la chimiothérapie et la douleur liée aux lésions nerveuses périphériques comme le syndrome du canal carpien ou la douleur neuropathique post-chirurgicale [34].

 

La gestion de la DN présente un besoin clinique non satisfait, moins de 50 % des patients obtenant un soulagement substantiel de la douleur avec les médicaments actuellement recommandés [35].

Les patients souffrant de DN présentent un risque plus élevé de comorbidités telles que la dépression, l’anxiété et les troubles du sommeil, et une qualité de vie inférieure à celle des patients souffrant de douleurs chroniques non neuropathiques [36].

 

Malgré les progrès récents dans le développement de nouveaux traitements de la DN, de nombreux patients restent réfractaires ou intolérants aux thérapies pharmacologiques et non pharmacologiques existantes (chirurgie, stimulation médullaire, relaxation, sophrologie, hypnose, psychothérapie). La pharmacothérapie orale recommandée est associée à un risque élevé d’interactions médicamenteuses et d’effets secondaires, pouvant interférer avec l’effet analgésique, et limitant la satisfaction des patients. Les méthodes non pharmacologiques peuvent être peu ou modérément efficaces, ou ne sont pas disponibles dans la pratique clinique.

 

Depuis quelques années, les voies topiques d’administration d’analgésiques gagnent en popularité dans la médecine de la douleur, car les traitements topiques présentent un excellent profil de sécurité et sont préférés aux médicaments systémiques chez les patients atteints de NP périphériques [37, 38].

 

En outre, les traitements topiques, appliqués localement, peuvent cibler les mécanismes sous-jacents de la sensibilisation périphérique et de la douleur. Lors de la nociception physiologique, les neurones périphériques exercent des interactions complexes avec les cellules immunocompétentes et les kératinocytes par l’intermédiaire de neuropeptides, de neurotransmetteurs, de cytokines et d’autres molécules de signalisation agissant sur les canaux ioniques ou les récepteurs correspondants [39]. Lorsque des conditions pathologiques (par exemple, une lésion nerveuse ou une inflammation) surviennent, ces interactions entraînent une suractivation et une perturbation du fonctionnement des cellules neuronales et non neuronales, contribuant finalement à l’hyperexcitabilité neuronale, à la sensibilisation périphérique et à la douleur [40].

 

Kocot-Kępska et al. ont récemment publié un article examinant les interactions complexes neuro-immuno-cutanées, leurs changements observés après une lésion des nerfs périphériques et leur rôle dans la génération et le maintien des douleurs neuropathiques [41].

 

Certaines molécules actives incorporées dans des formulations topiques peuvent agir sur plusieurs canaux ioniques, sur des récepteurs et sur des protéines ou des enzymes afin d’interrompre des boucles de stimulation qui s’intensifient mutuellement [42].

 

Des recommandations récentes sur la gestion des DN périphériques localisées ont désigné les emplâtres de lidocaïne à 5 % en 1re intention, puis, dans le cadre d’un usage strictement hospitalier, les patchs à 8 % de capsaïcine et la toxine botulique de type A en 2e intention.

 

Par rapport à ces traitements soumis à des exigences particulières d’utilisation, les crèmes analgésiques présentent des avantages tels que la commodité d’emploi, la facilité d’adaptation de la dose et de la fréquence d’application, et l’implication plus grande du patient dans le processus thérapeutique [43].

 

Grâce au repositionnement de molécules, les crèmes analgésiques empruntent leurs substances actives à différentes classes pharmacologiques tels que, de façon non exhaustive, les antiépileptiques (phénytoïne, cannabidiol), antidépresseurs (amitriptyline, doxépine), mucolytiques (ambroxol), antihistaminiques (mépyramine), relaxants musculaires (baclofène), antihypertenseurs (clonidine, prazosine), anesthésiques (capsaïcine à faible concentration) et antiprurigineux (menthol).

 

Toutes ces molécules sont actuellement utilisées en pratique clinique chez les patients souffrant de DN périphériques localisées et font l’objet de recherches cliniques et fondamentales. Le but étant de mieux comprendre leur mode d’action et de renforcer le niveau de preuve de leur efficacité, aujourd’hui limité à des rapports de cas ou de séries de cas, des études d’observations ou des essais contrôlés randomisés uniques. Cependant, un faible niveau de preuve n’exclut pas la possibilité d’une efficacité et d’un effet analgésique bénéfique chez un sujet donné, notamment lorsque les autres traitements échouent, sont contre-indiqués ou induisent des effets secondaires inacceptables [42].

1 - Amitriptyline

L’amitriptyline est un antidépresseur tricyclique utilisé par voie orale comme traitement de première intention chez les patients atteints de DN périphérique et centrale. Les preuves précliniques montrent que l’application topique d’amitriptyline exerce des effets antinociceptifs et antiallodyniques dans les modèles de douleur aiguë et de DN.
Il a été montré que l’amitriptyline topique inhibe fortement l’activité des canaux sodiques voltage-dépendants (Nav), en particulier les canaux Nav1.7, Nav1.8 et Nav1.9, de manière dose-dépendante [44].

Jusqu’à récemment, l’amitriptyline était utilisée par voie topique à des concentrations inférieures ou égales à 5 %, et souvent en association avec d’autres analgésiques tels que la kétamine par exemple. Employée seule jusqu’à la concentration de 5 %, les données d’essais cliniques contrôlés fondés sur les preuves n’ont pas confirmé l’efficacité de l’amitriptyline dans la douleur neuropathique périphérique [45].

Récemment, une crème à 10 % d’amitriptyline a montré une efficacité analgésique pertinente dans le cadre d’une étude pilote conduite chez des patients atteints de neuropathie périphérique induite par la chimiothérapie. Après seulement un mois de traitement (deux applications par jour), la crème à l’amitriptyline (10 %) a permis d’observer une importante diminution de l’intensité des douleurs, passée de sévère à moyenne (7/10 à 3/10 au Numerical Pain Rating Score) et une nette baisse de la symptomatologie. Aucun effet indésirable n’a été relevé et l’absence de passage systémique a été vérifié [46, 47].


2 - Ambroxol

Médicament mucolytique et expectorant, l’ambroxol utilisé par voie topique a montré une puissante activité anesthésique locale due à l’inhibition des canaux sodiques voltage-dépendants Nav1.7 et Nav1.8 et à une action anti-inflammatoire par réduction de cytokines pro-inflammatoires [48].

Une crème à 20 % d’ambroxol a montré un soulagement pertinent de la douleur chez des patients atteints de différents syndromes de DN, dont la névralgie du trijumeau [49, 50]. Une série de cas de patients atteints de CRPS (complex regional pain syndrom) a montré l’efficacité d’une crème à 20 % d’ambroxol sur la réduction de l’œdème, l’allodynie, l’hyperalgésie et la rougeur de la peau [51].

Une publication récente cite l’utilisation d’une formulation topique d’ambroxol à la concentration de 25 % [47].


3 - Mépyramine

Médicament antihistaminique H1, la mépyramine a montré dans des études précliniques sa capacité à inhiber les canaux Nav1.7, Nav1.8 et Nav1.9, puis à réduire fortement l’activité (induite mécaniquement) des fibres mécanosensorielles de type Aβ et C. Appliquée localement, la mépyramine a permis de soulager la douleur dans des modèles de douleur aiguë, inflammatoire et chronique [52].

Dans une crème à 20 %, la mépyramine utilisée par voie topique montre une efficacité pertinente et une absence d’effets indésirables notables [47].

4 - Phénytoïne

Anticonvulsivant de première génération, la phénytoïne bloque de manière non sélective les canaux Nav dépendant du voltage, ce qui entraîne une réduction de la mise à feu des neurones et confère à cette molécule des propriétés anticonvulsivantes et antineuropathiques. Certaines études précliniques révèlent d’autres mécanismes tels que le blocage des canaux calciques dépendant du voltage (VGCC), une activation des récepteurs de l’acide gamma-aminobutyrique (GABAR) et des propriétés anti-inflammatoires [42].

De nombreuses études d’observation rapportent l’utilisation dans la DN localisée de la phénytoïne topique à des concentrations allant jusqu’à 30 %.

Dans une étude observationnelle, Kopsky et al. ont décrit 70 patients souffrant de DN traités par des crèmes à 5 % et 10 % de phénytoïne : 70 % des patients ont connu un soulagement de la douleur d’au moins 50 %. Chez 16 de ces patients auprès desquels les taux plasmatiques de phénytoïne ont été mesurés, aucun taux plasmatique n’a été détecté [53].

Les effets antidouleur d’une crème à 10 % de phénytoïne par rapport à une crème placebo ont été confirmés par une étude portant sur le test de réponse en double aveugle contrôlé par placebo [54]. Six des 12 patients atteints de DN ont été classés comme répondeurs. Tous les répondeurs avaient une réduction de la douleur d’au moins 30 %, et quatre sur six avaient une réduction de la douleur d’au moins 50 % dans la zone d’application de la crème phénytoïne à 10 %.

5 - Doxépine

Antidépresseur tricyclique, la doxépine semble partager les mêmes mécanismes d’action que l’amitriptyline. L’efficacité de la doxépine topique à 3,3 %, seule ou en association avec de la capsaïcine à 0,025 %, a été démontrée dans un ECR mené auprès de 200 patients atteints de DN chronique [55].

L’effet analgésique de la doxépine topique à 5 % a été décrit dans un rapport de cas d’un patient pédiatrique atteint de leucémie lymphoblastique et de DN sévère après un traitement antifongique [56].

6 - Clonidine

Antihypertenseur d’action centrale (agoniste α2-AR), la clonidine est une molécule antinociceptive très puissante utilisée par voie systémique pour traiter la douleur aiguë et chronique.

L’administration par voie topique de la clonidine provoque un effet antinociceptif établi dans des études précliniques [57] et cliniques chez des patients souffrant de DN périphériques [58, 59].

Selon les analyses Cochrane de Wrzosek et al. (2015) et de Serednicki et al. (2022) dans le cadre d’une mise à jour incluant au total 743 patients souffrant de neuropathie diabétique douloureuse, l’efficacité de la clonidine topique à 0,1 % présente un niveau de preuve moyen. Cependant, la clonidine topique montre un excellent profil de sécurité sans les effets secondaires centraux observés après une administration systémique [60, 61].


7 - Prazosine

Médicament antihypertenseur, la prazosine est un antagoniste des récepteurs α1adrénergiques.
Par voie topique, la prazosine a été étudiée chez des patients atteints du syndrome douloureux régional complexe (SDRC).

Après avoir montré qu’une crème à 1 % de prazosine a inhibé la vasodilatation réflexe de l’axone adrénergique chez des volontaires sains, Drummond et al. ont rapporté que cette préparation à 1 % de prazosine atténuait l’allodynie et l’hyperalgésie ponctuée chez les patients atteints de SDRC [62].

La cible de la prazosine pourrait être les récepteurs α1-adrénergiques activés sur les fibroblastes et les kératinocytes sous l’influence de médiateurs inflammatoires, ou de facteurs neurotrophiques, générés par l’infiltration de cellules immunitaires dans le tissu lésé [63].

Keppel Hesselink et al. soulignent que ces études sur le SDRC et le fait qu’une préparation topique de prazosine puisse en atténuer les symptômes révèlent l’importance du rôle joué par le kératinocyte dans l’initiation de la sensibilisation centrale [43].

8 – Baclofène

Myorelaxant, agoniste sélectif du récepteur GABAB, le baclofène a été initialement utilisé comme traitement systémique de la spasticité.

Par voie topique, le baclofène à 5 % a permis de soulager la DN due à l’acromégalie [64] et aux lésions de la moelle épinière [65, 66].

Keppel Hesselink et al. (2016) ont rapporté l’intérêt d’une crème analgésique et anti-inflammatoire composée de baclofène à 5 % et de palmitoyléthanolamide à 1 % dans le traitement de la vulvodynie provoquée localisée (vestibulodynie), un trouble très fréquent dont la prévalence est comprise entre 4 % et 16 %, avec un biais de sous-déclaration. La plupart des cas de vestibulodynie peuvent être considérés comme des troubles douloureux neuropathiques localisés en raison des sensations de brûlure, de picotement et d’irritation décrites par les patientes [67].

La formule topique associant le baclofène (5 %) et le palmitoyléthanolamide (1 %), un autacoïde de type endocannabinoïde doté de propriétés anti-inflammatoires et agissant en tant que restaurateur de l’homéostasie neuroimmunologique, soulage la douleur en ciblant trois composantes de la vestibulodynie : les terminaisons nerveuses des nocicepteurs, les cellules immunocompétentes adjacentes et les cellules épithéliales [68].


9 – Cannabidiol

Le cannabidiol (CBD) est l’un des principaux constituants phyto-cannabinoïdes présents dans les variétés sativa et indica du cannabis. L’effet central anti-anxiété et antipsychotique du CBD pourrait être lié à son interaction avec les récepteurs CB1 dans le système nerveux central.

Cependant, malgré une littérature abondante, les cibles moléculaires spécifiques qui sous-tendent les différents effets thérapeutiques du CBD restent très discutées [69].

Dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé incluant 29 patients souffrant de neuropathie périphérique symptomatique, Xu DH et al. (2020) ont montré une réduction statistiquement significative de la douleur intense, de la douleur aiguë, du froid et des démangeaisons dans le groupe recevant pendant quatre semaines une formulation topique sous forme d’huile de CBD correspondant à une concentration d’environ 0,3 % (250 mg CBD/3 fl. oz). Aucun effet indésirable n’a été signalé dans cette étude [70].

Les données précliniques et les observations cliniques soutiennent l’idée que le CBD par voie topique pourrait être utilisé dans les états douloureux, mais l’élucidation des mécanismes moléculaires doit encore être identifiée et l’efficacité clinique confirmée [71].

10 – Capsaïcine

La capsaïcine est un agoniste des canaux TRPV1 (transient receptor potential vanilloid type 1) utilisé chez les patients souffrant de DN périphérique localisée, soit à forte concentration (patchs à 8 %), soit à faible concentration (< 0,1 % dans des crèmes).

Cet alcaloïde, composé actif du piment, provoque la libération de neuropeptides, dont la substance P, par les fibres nerveuses C. L’application prolongée de capsaïcine sur la peau épuise les réserves de substance P et entraîne une perte réversible et sélective des terminaisons nerveuses nociceptives (récepteur vanilloïde TRPV1), avec une hyperalgésie, suivie d’une désensibilisation réversible par « défonctionnalisation » du récepteur.

La capsaïcine peut être appliquée sous forme de crème de 0,025 % à 0,1 % quatre fois par jour, avec un intervalle d’au moins trois à quatre heures entre les applications. L’effet indésirable le plus fréquent est une sensation de brûlure passagère (Goldsmith 2012).

Les crèmes topiques à base de capsaïcine (< 0,1 %) sont utilisées pour traiter la douleur liée à un large éventail de maladies chroniques, y compris la douleur neuropathique. Si les preuves cliniques soutiennent les patchs de capsaïcine à 8 %, les données d’efficacité restent insuffisantes et discordantes à propos des crèmes à faible concentration de capsaïcine [72]. Ces formulations topiques peuvent être considérées comme un traitement de réserve [73].

11 – Menthol

Le menthol, dont le L-menthol est l’isomère prédominant dans les formulations, est utilisé comme analgésique non opioïde depuis l’antiquité.

Le principal mécanisme d’action analgésique du menthol est attribué à l’activation du TRPM8 (transient receptor potential melastatin-8), canal ionique sensible au froid, exprimé dans la peau au niveau des nocicepteurs et des kératinocytes. TRPM8 est activé par des températures inférieures à 28°C, ainsi que par le menthol et d’autres agents de refroidissement tels que le camphre [42].

En tant qu’agent topique, il agit comme un contre-irritant en conférant un effet de refroidissement et en stimulant initialement les nocicepteurs pour ensuite les désensibiliser. Le menthol appliqué localement peut également activer les voies analgésiques centrales. À des concentrations élevées, le menthol peut générer une allodynie au froid [74].

Dans les modèles animaux de douleur, le menthol réduit efficacement la douleur induite par la capsaïcine, la chaleur nocive et l’inflammation. Dans ces modèles animaux, le rôle de TRPM8 comme médiateur de l’analgésie induite par le menthol dans les douleurs aiguës, neuropathiques et inflammatoires a été confirmé [75]. Cependant, les études cliniques chez l’homme sont rares.

Le menthol peut être appliqué trois ou quatre fois par jour dans une large gamme de concentrations, de 0,1 % à 10 %. Lasanen et al. (2016) ont démontré qu’un gel à 4,6 % de menthol entraînait un effet de refroidissement de la peau significativement plus important que les gels à 0,5 % et 10 % [76].

Tableau 1

Compatibilités avec différents excipients Codexial réalisées à 25 °C. Les résultats indiqués en % maximum expriment une absence de modification notable des caractéristiques organoleptiques des préparations, couleur, odeur, déphasage, grains, pH. Diacéréine, doxépine et midodrine ont été obtenus à partir des spécialités pharmaceutiques car ces substances actives n’étaient pas disponibles chez les fournisseurs habituels.
Toutes les substances actives sélectionnées pour nos essais de formulation ont un poids moléculaire inférieur à 500 Da, à l’exception du sirolimus/rapamycine (914 Da), dont la formule peut nécessiter l’incorporation d’un solubilisant courant (Transcutol® – 15 %) qui est un diethylene glycol monoethyl ether et qui agit comme un promoteur d’absorption. En effet, il est admis en général que les substances d’un poids moléculaire inférieur à 500 Da peuvent passer la barrière cutanée. Pour celles d’un poids moléculaire supérieur la pénétration cutanée est moins aisée et il est possible de l’améliorer avec des promoteurs d’absorption.

 

 

Substance% max substanceExcipient Codexial

Stabilité

Ambroxol HCl25 % avec 10 % d’eauCO3 mois
Amitriptylline HCl15 %CO1 mois
Baclofène5 % avec 1 % de PMEA (a)CO3 mois
Capsicum Oléorésine (b)0,075 %CO / COF / CCCF / CCGM3 mois
Cholestérol5%CO / CCC / CCCF3 mois
Clonidine HCl0,10 %CO3 mois
Diacéréine1 %CO / CCC3 / 1 mois
Doxépine HCl3,3 %CO3 mois
Gentamicine sulfate0,3 %CO / CP / CC2 / 3 / 3 mois
Menthol (c)5 % et 2 %CO / COF / CCCF3 mois
Mépyramine maléate20 %CO3 mois
Médodrine0,2 %CO3 mois
Palmitoylethanolamide1 %CO3 mois
Phénytoïne10 %CO3 mois
Rapamycine0,25 % +/-TranscutolCO3 mois
Simvastatine5 %CO / CCC / CCCF3 mois

 

CO : Codexial Obase / COF : Codexial Obase Fluide / CCCF : Codexial Cold Cream Fluide

CCGM : Codexial Cérat de Galien Modifié / CCC : Codexial Cold Cream / CP : Codexial Pommade

               

(a)    Palmitoylethanolamide origine alimentaire
(b)    Extrait huileux (Laboratoire Inrésa) concentré à 8,6 % de capsaïcine. Le % de substance active est indiqué en capsaïcine pure
(c)    Lévomenthol synthétique
 

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La rédaction de cet article, la sélection des molécules abordées, les travaux de recherches bibliographiques n’ont pas été traités à l’aide d’outils d’intelligence artificielle.